Des réformes urgentes sont impératives pour éviter au Burkina Faso du président Blaise Compaoré, en crise depuis deux mois, une révolution à la tunisienne où à l'égyptienne, estiment des analystes et commentateurs de ce pays sahélien.
Les dernières contestations, d'une ampleur inégalée, indiquent que le régime Compaoré, au pouvoir depuis 1987, "est acculé, il doit revoir beaucoup de choses, résoudre les problèmes à la racine", estime Dieudonné Zoungrana, éditorialiste au quotidien privé L'Observateur Paalga.
Il juge insuffisantes les mesures déjà prises: paiement de primes des militaires, dissolution du gouvernement, "valse des bérets" (limogeages de plusieurs chefs dans l'armée).
Depuis février, le Burkina est secoué par de multiples manifestations de colère, des magistrats aux commerçants, en passant par les élèves et les étudiants, les syndicats, la société civile, l'opposition et les militaires.
Des militaires qui, dans un contexte généralisé de vie chère dans un pays où près de la moitié des 16 millions d'habitants peine avec moins de 1.000 FCFA (1,52 euro) par jour, exigent le paiement de primes spéciales.
Une mutinerie déclenchée le 14 avril à Ouagadougou, au sein même de la garde du président Compaoré, s'est étendue à d'autres casernes de la capitale puis a gagné des garnisons dans les provinces. A Ouagadougou, des soldats mutins ont pillé et saccagé des commerces, volé des véhicules, commis des viols.
Pour Charles Sorgho, membre de la société civile, quand une mutinerie "se produit jusque dans l'entourage d'un chef d'Etat, c'est inquiétant. Aujourd'hui, la situation est assez critique. On se demande si cela ne va pas tendre vers le pire, vers le bouleversement total du régime. Comme au Maghreb, il faut s'attendre à tout".
Dans ce pays pauvre, "il y a un écart abyssal entre une minorité de riches, essentiellement dans l'entourage présidentiel, et tout le reste de la population: fonctionnaires, petits commerçants, agriculteurs, ouvriers, alors que tout est devenu cher. Cela n'apaise pas", note M. Sorgho, responsable du Groupe d'études et de recherches sur la démocratie et le développement économique et social-Burkina (Gerddes-Burkina).
Les contestations des civils et des militaires reposent sur des revendications "qui ne sont pas du tout à négliger", "ainsi sont nées les révolutions tunisienne et égyptienne", avertissait mardi L'Observateur Paalga, pour qui les révoltes "renvoient à une réalité: la crise de l'Etat et de la gouvernance".
Pour éviter une révolution qui lui coûterait son fauteuil, observe-t-on à Ouagadougou, Blaise Compaoré doit prendre des décisions urgentes: augmenter les salaires des fonctionnaires, contrôler et stabiliser les prix des denrées de base, réinstaurer la discipline dans l'armée et, souligne M. Sorgho, s'engager à ne pas lever le verrou de la limitation des mandats présidentiels.
Le parti au pouvoir projette une révision de la Constitution qui permettrait à M. Compaoré de briguer un nouveau mandat en 2015, alimentant une vive polémique dans le pays.
Toutefois, pour l'instant, note Dieudonné Zoungrana, "il n'y a pas de vacance de poste à Kosyam", siège de la présidence à Ouagadougou.
Ces violences ont suscité la colère de jeunes et de commerçants qui, à leur tour, ont attaqué des édifices publics et du pouvoir. "Même avec le double de son budget, l'Etat ne pourra pas rembourser les commerçants", estime une victime de pillages, consternée par les dégâts.
Les ex-mutins de la garde présidentielle ont affirmé qu'ils ne visaient pas le régime de M. Compaoré, mais "bien malin qui pourra assurer que tout cela n'a pas de relent politique", commente Dieudonné Zoungrana. – AFP